Les courses
Je devais avoir 12 ans quand mon beau-père me mit dans le même lot que mon frère (tout comme ma soeur qui avait subit le même sort un an avant moi). Lot de quoi ? Bonne question, il n'a jamais voulu nous dire ... "Pourquoi". Mon frère c'est très simple, il avait fait pleurer ma mère en la quittant pour vivre chez son père à l'annonce de leurs unions. Mais ma soeur et moi ... Le courant passé bien pourtant au début...
Mel fut moins affectée que moi par tout ce qu'il s'est passé. À l'age de 19 ans, elle s'en alla vivre à la cité universitaire mais elle revint un an plus tard ... Pour repartir l'année suivante pour de bon cette fois ci, me laissant seule avec Maman et Guano.
Ce fut vraiment pas la joie tous les jours ... Je pleurais beaucoup, et je passais le plus de temps possible avec ma grand mère au téléphone afin qu'elle me console. Bien que ma mère passait son temps à insulter mon père quand il arrivait dans un sujet de conversation, elle garda toujours un très bon contact avec ma grand mère paternel, Nicou... Du moins pendant quelques années.
Quand je ne pouvais pas être au téléphone avec ma grand mère, j'écrivais sur mon journal intime. Enfin, je devrais plutôt dire mes journaux ... De mes 11 à 18 ans, j'ai eu pas moins de 8 petits cahiers de 296 pages chacun.
Je disais souvent les mêmes choses, que j’étais triste, que je me sentais mal, que je pleurais encore et encore sans pouvoir m’arrêter ...
Je me sentais mal au collège, j’ai toujours eu du mal m’intégrer dans une communauté. Mes résultats scolaires étaient en plus de ça en chute libre. À la maison je n’osai rien dire à ma mère, avec qui je n’avais plus aucun moment d’intimité ... Si je devais lui parler, c’était obligatoirement en présence de son mari. Comme je n’avais pas le courage de parler de mes mauvaises notes, je les signais moi même. Puis j’ai commencé à sécher les cours. Un véritable cercle vicieux ...
Plus le temps venait, et plus Maman oubliait que j’habitais encore à la maison. Elle ne faisait que rarement les courses, et quand c’était le cas, elle achetait des produits de marque pour elle et son mari. Par contre, il m’était interdit d’y toucher et elle me réservait (quand c’était jour de fête) un paquet de yaourt premier prix à emballage bleu totalement imbouffable (marque Melivie, pour vous dire si ça m’a marqué ...). Il m’arrivait souvent d’ouvrir les placards, le frigo et le congélateur en semaine, et de me rendre compte que les seuls trucs restant à manger, étaient des aliments leurs étant réservés.
C’est donc à 12 ans que je commença à faire mes propres courses. Je n’avais pas d’argent bien sur ... Ma grand mère m’en envoyait assez souvent d’ailleurs. Je devais recevoir environ 200 ou 300 francs de sa part par mois pour me payer quelques conserves. En plus de ça, une fois tout les deux mois je recevais un carton avec des conserves, des paquets de biscuit ainsi que des céréales pour le petit dej’ .
On pourrait se demander ce que faisait ma mère pendant tout ce temps ... C’est très simple...
Le matin, je me levais pour aller au collège.
Le midi, je ne rentrais pas chez moi et je mangeais avec une amie aussi paumée que moi dans le village où nous nous trouvions.
Je rentrais à 17h, je faisais la bise à ma mère que je voyais pour la première et dernière fois de la journée, ainsi qu’a Guano (ils travaillaient tout les deux au magasin alors qu‘une seule personne suffisait largement).
Ensuite je montais à l’appartement, et c’était tout. Je faisais mes devoirs, je me faisais à manger et je finissais devant la télé.
Le vidéo-club fermait à 21h et quand j’entendais la grille, je quittais le salon discrètement pour monter dans ma chambre afin d’y terminer la soirée.
Quand ma soeur était là, c’était exactement pareil ! On mangeait ensemble et après avoir entendu la fermeture du magasin, nous montions toutes les deux à l’étage.
Et tout ça à cause de Guano ... Il ne se montrait pas violent à ce moment là. Mais il nous insultait à voix basse en marmonnant dans sa barbe, il nous épiait, nous jetant des regards de travers quand on prenait un verre de jus de fruit ou encore il nous bousculait quand on passait à coté de lui ... Et bien sur Maman s’exclamait chaque jour
« - Il vous aime comme ses propres enfants ! »